Courir. C'était à peu près tout ce qu'il avait en tête en ce matin typique d'un début de mois de mars. Ses jambes membres le démangeaient comme si la pleine lune était là et comme à chaque fois que cela se produisait, il lui fallait courir. Il avait pourtant espérer pouvoir profiter de la grasse matinée alors qu'il ne travaillait pas ce jour là. Cette envie insoutenable l'avait pourtant saisit à sept heure du matin sans s'inquiéter de savoir si lui voulait dormir. Après avoir roulé quelques minutes dans son lit en grognant, cherchant à la réprimer pour ne pas avoir à quitter le confort de sa couche, il finit par se lever d'un bon, réveillant son colocataire qui avait dormi collé contre lui.

Qu'est-ce qui y'a ? marmonna-t-il, à moitié réveillé. T'avais pas un jour de repos ? Lui demanda-t-il avant de bailler bruyamment et de se rouler en boule en ramenant la couette sur lui.

Enfilant rapidement un survêtement et des chaussures de sport de la même couleur, il ne prit pas la peine de lui répondre en le voyant se rendormir et courut jusqu'à la porte d'entrée en guise de mise en bouche, sentant déjà ses muscles s'apaiser. En arrivant dehors pour se faire généreusement arroser par la pluie, il jura entre ses dents et partit en direction du parc le plus proche, ne prenant même pas la peine de remonter chercher une veste pour s'en protéger, sachant pertinemment qu'il n'attraperait même pas un rhume de toute manière.
Le parc était quasiment vide, plus à cause de la pluie que de l'heure qu'il était, même si quelques irréductibles coureurs sillonnaient les allées devenues boueuses du parc. Il put ainsi profiter de la faible affluence pour se laisser aller à courir sans trop se retenir, pilant presque sur place quand il sentait quelqu'un arriver à son encontre. Après quelques tours sous la pluie, il finit par s'affaler sur un banc trempé, soupirant d'aise. Courir n'était plus qu'un souvenir et il n'avait plus qu'une envie, prendre une bonne douche chaude et manger. Il trottina sur le chemin du retour, attrapant au passage un sandwich au subway du coin qu'il mangea en court de route. Son colocataire dormait toujours dans son lit et l'autre était déjà parti travailler depuis un moment, il jeta ses vêtements sur le sol, passa par la cuisine boire un verre de coca et fila sous la douche bien méritée.

Une fois propre et un copieux petit déjeuner, dont l'odeur attira immanquablement son ami, de prit, un choix s'imposa à lui. La matinée n'était pas très avancée et s'il avait prévu de faire la grasse matinée pour profiter de ce jour de repos, il ne savait plus trop quoi faire à présent. Il alla s'affaler une minute sur le sofa, zappant la télévision à la recherche d'un programme intéressant sans rien trouver et finit par l'éteindre, jetant la télécommande sur un fauteuil. Il s’allongea de tout son long, les bras croisés sous la tête et partit dans la contemplation des tâches au plafond, soupirant de temps à autre. Son colocataire ne tarda pas à la rejoindre et s'affala sur le fauteuil. Il attrapa la télécommande qu'il avait écrasé au passage et commença à zapper à son tour pour s'arrêter sur une émission de télé-réalité. Taylor se dévissa le cou pour le regarder par dessus l'accoudoir.

A quoi est-ce que tu occupes tes journées toi ?

Sans lui prêter attention, ce dernier haussa les épaules avant de lui répondre.

Je regarde la télé, je sors me balader, je vais voir des amis.. Pourquoi ? Tu t’ennuies ?

Le jeune loup sourit. C'est vrai qu'il n'avait pas l'habitude de s'ennuyer. Avec son imagination, il trouvait toujours quelque chose à faire comme dessiner.
Taylor se redressa subitement en se tapant le front sous le regard ahurit de son coloc' qui ne perdit pas cette occasion pour se foutre de lui. Il se leva du canapé et fouillant dans le bureau de sa chambre il interpela ce dernier.

T'aurais pas vu mon calepin ?! Celui que j'utilise pour mes croquis ?

Il entendit son coloc' se poser dans le canapé pour prendre sa place.

Tu ne l'as pas laissé à la boutique ?

Se frappant à nouveau le front du plat de sa main, il partit en quête d'un autre calepin qu'il trouva sous une tonne de magasine. Il s'habilla ensuite, déambulant jusque là en caleçon à l'instar de son coloc', enfilant un jean et un débardeur et passant une veste à capuche assez légère, le tout dans des tons sombres. Il jeta son calepin ainsi qu'une trousse dans sa sacoche et s'arrêta devant une glace pour attacher ses cheveux en arrière avant de sortir de sa chambre.
Son ami le salua de la main alors qu'il quittait l'appartement et il courut tranquillement jusqu'à la station de métro la plus proche en direction du musée.

♦ ♦ ♦ ♦ ♦

En arrivant, les personnes à l'entrée qui s'occupaient des visiteurs et se chargeaient de vérifier le contenu des sacs avaient l'air plus occupées par la cohue qui régnait dans le hall que par les potentiels visiteurs. Un vigile l'arrêta cependant en l'inspectant de bas en haut pendant qu'il tentait désespérément d’apercevoir ce qui causait tout ce remue ménage. Adressant un sourire charmeur au gorille qui accepta finalement de le laisser passer et voyant qu'il ne connaissait ni d’Ève, ni d’Adam l'homme sous les flashs, il s'éloigna de la foule et s'engagea dans la partie droite qui semblait miraculeusement épargnée par toute cette cacophonie. Il s'agissait de la partie romaine où était exposée de nombreuses statues qu'il pourrait croquer. Il se posa sur un banc à côté d'une jeune fille et se raidit en sentant son énergie courir sur sa peau. Il entreprit cependant de sortir son calepin et d'entamer une esquisse de la statue qui leur faisait face, essayant de l'ignorer. Finalement, il se décala légèrement pour s'éloigner d'elle et tourna la tête pour observer son profil.
Elle était jolie et il avait presque envie de croquer la jeune fille plutôt que la statue. La fixant avec insistance, il réalisa qu'il ne l'avait jamais vu ici et qu'elle n'avait pas l'odeur de la meute locale. Une nouvelle arrivante ? Il ne savait trop que penser d'elle, surtout avec ce qu'elle dégageait, aussi se racla-t-il la gorge et lui demanda avec un sourire charmant.

Je ne t'ai jamais vu ici, c'est la première fois que tu viens ?

Sa question ne concernait pas le musée mais Londres en son entier. Il ne connaissait certes pas tous les membres de la meute personnellement tant ils étaient nombreux mais il savait quand il en avait un en face, ce qui n'était pas le cas. Il avait d'emblée opté pour le tutoiement vu leur âge, cherchant juste à faire sa connaissance, un brin de causette tandis qu'il dessinait.

Le métamorphe jetait des coups d’œil régulier à la jeune fille, observant son profil avec attention, essayant de se rappeler l'intensité du regard qu'il avait furtivement croisé. Son envie de la dessiner se faisait de plus en plus présente et pourtant, il ne pouvait décemment pas le faire en sa présence. Aussi s'occupa-t-il à tenter de mémoriser chaque détails qu'il pouvait voir pour la dessiner une autre fois. Cela représentait en même temps un bon exercice de visualisation. La forme de son nez, la courbe de ses lèvres, sa pommette et même la façon dont ses cheveux se rabattaient vers l'avant quand elle bougeait la tête. Un observateur extérieur aurait sans doute mal jugé son attitude, la prenant pour de l'obsession mal placée alors que ce n'était qu'une habitude chez lui, c'était son côté artistique qui avait pris le dessus. Tout en la regardant de biais, il nota quelques petites choses supplémentaires comme ses mimiques attendrissantes. Il se demanda quel âge elle pouvait bien avoir et s'interrogea sur l'origine de ses pommettes saillantes qui lui rappelaient Pocahontas. L'air du vent lui vint en tête et il cessa de l'observer.
La tension était palpable, surtout du côté de sa voisine qui paraissait clairement mal à l'aise et dérangée par sa présence. Pourtant il n'esquissa pas le moindre geste pour lui faire de l'espace ou mettre un terme à ce semblant de conversation, bien déterminé à en savoir plus sur la demoiselle. Il conservait une attitude franche et ouverte, ne se départant pas de son sourire sincère. Si elle s'était installée en ville, il aurait sans doute l'occasion de la recroiser un jour, ne serait-ce qu'au cours d'une des réunions obligatoires de la meute, le chef étant très à cheval sur cette tradition. Elle était un peu jeune pour être une louve solitaire mais il en savait trop peu sur elle pour s'avancer sur ce sujet, peut-être était-elle trop fraichement débarquée pour porter l'odeur de la meute locale. Mais il aurait alors dû sentir l'odeur d'une autre meute sur elle. Hors en dehors de sa propre odeur et d'une odeur de parfum assez saisissante qui ne semblait incrustée dans ses vêtements avec les habituelles odeurs -pestilentielle- de la ville, il n'y avait rien qui correspondait à cette possibilité.

Sa curiosité n'en fut que davantage attisée. Il cessa de l'observer pour se replonger dans son croquis, non sans élargir son sourire en se remémorant l'expression de son visage quand elle avait croisé son regard. Certes, il y avait de tout chez les change-formes comme chez les Hommes mais les métamorphes étaient souvent plus... ouverts, plus sociaux ? Quoi que la nouvelle génération soit au dessus de tout, peut-être à cause de la dissolution du sang. Un instant il se demanda si comme lui, elle était issus d'un mélange entre un humain et un métamorphe. Ce n'était pas rare mais ils étaient moins choyé que les purs sangs. Il soupira bruyamment contre son gré et inspira profondément pour se changer les idées et se remettre à son croquis, ce qui eut plutôt l'effet inverse.
Reniflant discrètement l'air pour ne pas la plonger davantage dans l'embarras devant cette inspection en bonne et due forme, il se demanda qu'elle âge elle pouvait bien avoir. Il était clair qu'elle était jeune, très certainement mineure et peut-être fraichement transformée vu son manque de contrôle sur son énergie. Il lui avait lui-même fallu du temps pour masquer celle-ci aux autres, malgré toutes les leçons qu'on avait pu lui donner pour apprendre ce truc. Bien que les Hommes soient aveugles à beaucoup de choses, on trouvait toujours de drôles d'énergumènes capables de sentir ce genre de choses, hors l'atmosphère était quasi-électrique autour de lui, ce qui attisait la bête en lui qui ne voulait qu'une chose, se tendre à son encontre.
Il mit un terme à ses perceptions en fronçant les sourcils, sachant qu'il serait mal venu de jouer avec le feu alors que la pleine lune approchait et parvint enfin à se plonger dans son croquis, entamant le haut de la statue. Le silence s'était presque confortablement installé dans cette aile du musée quand elle lui répondit par un hochement de tête. Mais c'est à peine s'il l'aurait vu faire du coin de l’œil si elle n'avait pas répéter ce hochement comme un automate. Il tourna à moitié la tête pour la regarder quand elle formula sa réponse à voix haute.

Bien entendu il tilta sur son accent. Ce dernier était drôle, pas dans le sens de comique mais dans le sens d'exotique, d'inconnu, de plaisant et il trouva qu'il lui allait à ravir. Il lui sourit plus franchement en réponse à son sourire en coin, plissant les yeux et faisant apparaitre de minuscules rides au niveau des yeux et du sourire. Il aimait sourire, rire, s'exprimer et tout son visage le montrait. Maintenant qu'il savait d'où elle venait, il avait envie d'en apprendre plus, mais chaque choses en son temps. S'il savait bien une chose, c'était qu'on obtenait rien sans rien et encore moins en brusquant les choses. Puisse qu'il était venu pour dessiner, il acheva son croquis en deux coups de crayon et entama celui d'une autre statue.
Le Wyoming. Il n'avait jamais été très assidu à l'école et il n'était pas très calé en géographie mais il savait au moins que cela se trouvait aux États-Unis, ce qui était déjà un point de départ et l'impressionna au plus haut point. Si elle n'était arrivée qu'avant-hier, elle devait être exténuée par le décalage horaire, surtout que le voyage avait été, à n'en pas douter, très long. Un siffla son ébahissement, impressionné. Une question le taraudait toujours, aussi la posa-t-il sans détour.

Tu es venue seule ?

Il voulait savoir si elle avait voyagé seule et ainsi, si elle était du genre solitaire ou juste peu portée sur les relations sociales. Il posait souvent des questions à double-sens, comme un jeu d'esprit, mais peu de personnes comprenaient l’ambiguïté de ses questions. Il enchaîna de suite sur un autre sujet plus important.

Je m'appelle Taylor et toi ?

Il s'était présenté le premier parce qu'il n'était pas convenable de demander le nom de quelqu'un sans avoir donné le sien au préalable. Hors, sous ses allures de mauvais garçon avec ses piercings et ses tatouages, il demeurait très bien élevé, incroyablement mien éduqué d'ailleurs, mais personne ne prenait le temps de découvrir ce décalage entre son apparence et sa personnalité, se fiant toujours aux apparences. Il chercha par habitude à passer sa main dans ses cheveux, manquant de se "décoiffer", avant de se souvenir qu'ils étaient attachés et qu'ils ne lui tombaient donc pas devant les yeux, et pencha la tête de côté pour la regarder plus ouvertement, un sourire en coin s'installant sur ses lèvres. Il finit cependant par baisser les yeux pour ne pas l'importuner davantage et jeta un coup d’œil à son téléphone portable pour prendre connaissance de l'heure qu'il était. En tant que métamorphe, il ne pouvait se permettre de louper un repas même s'il se composait d'un sandwich.. ou plutôt de trois dans son cas. Son estomac avait commencé à se manifester alors qu'il n'était pas encore l'heure du déjeuner. Peut-être avait-il dépensé trop d'énergie dans son jogging matinal. Ce n'était en tout cas, pas une bonne nouvelle, heureusement que le musée avait un restaurant.